Les espaces agricoles étaient avant tout des espaces productifs, les agriculteurs en contrôlaient l’aménagement avec le soutien de l’état. A partir des années 80, l’urbanisation croissante a transformé la perception de l’espace agricole qui est devenu une réserve foncière.
Progressivement, nous avons assisté à une revalorisation de la campagne. Dès lors l’agriculture est devenue une activité qui peut détériorer le paysage et l’environnement.
La ville veut mettre en paysage la campagne, mais le milieu agricole résiste. Il redoute une perte de ses revenus et une transformation de son lieu de vie en parcs aristocratiques et bourgeois. Il y a de très fortes contradictions entre agriculteurs et nouveaux ruraux.
L’enjeu : comment faire vivre les exploitations agricoles avec ces nouveaux usages et ces nouvelles contraintes ?
L’état a essayé d’y répondre en proposant à partir des années 2000 aux agriculteurs de devenir les jardiniers de la nature. Mais ceux qui ont refusés la mise en place des Contrats territoriaux d’Exploitation CTE, y voyant une contrainte supplémentaire, alors qu’ils doivent survivre à une mise en concurrence impitoyable liée à la mondialisation des échanges. Il faudrait faire bénéficier aux produits agricoles la plus-value paysagère, cela passe par les appellations AOC (Appellation d'origine contrôlée). Le paysage ne doit pas être une contrainte supplémentaire pour l’agriculteur, mais une nouvelle chance : un moyen de communication pour faire valoir la qualité de ses produits.
Les produits de l’agriculture peuvent- ils exprimer les qualités d’un terroir ? Les qualités d’un terroir peuvent-elles valoriser ses produits ?
La question est posée. Cette question est complexe, mais elle est incontournable pour comprendre une partie des problèmes posés par l’agriculture industrielle et mondialisée, à l’agriculture artisanale et de terroir. Je pense que les produits de l’agriculture artisanale ou paysanne revendiquent légitimement l’identification à un terroir.
Mais à certaines conditions seulement. La question du paysage est au centre de cette problématique.
L’architecte s’intéresse au projet, l’ingénieur à la gestion. Il y a un problème de vocabulaire qui explique en partie les difficultés à travailler ensemble pour les groupes de réflexion pluridisciplinaire. Le paysage renvoie à la totalité. Qui peut maîtriser la connaissance de cette totalité ? Il faut faire coexister la composante naturelle du paysage avec sa composante culturelle.
Pour un même objet, il faut distinguer trois horizons :
Le Paysage, c’est horizon de l’humain et de la perception culturelle.
Le Territoire, c’est l’horizon du possible et de la technique.
La Nature, c’est l’horizon de la nécessité donc de la science.
La philosophie est capable de penser le paysage dans un retour réflexif. Elle permet ainsi de revenir sur de nouvelles pratiques de l’aménagement et d’envisager une re-naturation. Il y a effectivement au départ un problème de vocabulaire.
Cette distinction en trois horizons permet de savoir de quoi l’on parle et évite ainsi des disputes stériles entre les spécialistes de tels ou tels horizons (disputes entre l’écologue, l’aménageur et le paysagiste). Toutefois l’horizon du paysage, c’est à dire l’horizon humain est- il un horizon supérieur aux deux autres ?
Je crois qu’il ne faut pas raisonner ainsi et surtout ne pas séparer ces trois horizons qui interagissent les uns avec les autres. Il faut adopter une démarche transversale. Le scientifique doit faire l’effort d’intégrer la problématique de l’ingénieur et celle du paysagiste. Les horizons dialoguent les uns avec les autres car l’être est un, même s’il se dévoile dans la multiplicité des phénomènes, dont il est la substance.
Ainsi à titre d’exemple, le projet de création du parc des Alpilles avait trois objectifs :
Préserver les structures, accompagner les évolutions sociales tout en Sauvegardant et valorisant l’identité architecturale de ce micro pays. Mais son ambition semble se limiter à harmoniser certaines pratiques et à réglementer l’affichage publicitaire ou la couleur des enduits des façades des maisons neuves. Les Alpilles sont déjà un lieu de villégiature pour gens fortunés, il semble que le parc a pour vocation d’entériner cet état de fait et de préserver l’image proprette d’un territoire réservé à une certaine clientèle.
Dans ces conditions, je comprends mieux pourquoi les habitants du pays du Ventoux disent « Non au parc ». Je me souviens de certaines bourgades espagnoles, telles que Fraga en Aragon, ou San Pablo de la Rapita dans le Levant, de leur développement trop rapide, anarchique, de l’aspect chaotique de leurs paysages, résultat d’un mélange d’activités agricoles et industrielles, et du charme non conventionnelle qui s’en dégage.
En France, on veut faire beau pour les riches « préserver les paysages « avec l’argent du contribuable et on laisse les pauvres habiter dans des ZUP minables. Préserver nos paysages c’est lutter contre les effets de la mondialisation et du libéralisme économique, c’est maintenir des traditions, des savoir- faire, c’est préserver la notion de pays partagé, de bien commun.
A suivre : Le paysage est un produit du terroir 3/3