S'approprier l'espace et les paysages

Dans sa dimension politique, le paysage est l’objet d’enjeux dans lesquels des luttes de pouvoir, permettent à certaines catégories de population de s’approprier l’espace. Je pense que derrière la dimension esthétique du paysage, se cache en réalité une manifestation encore peu étudiée de la lutte des classes.

Depuis des siècles les classes dominantes s’affrontent ou se coalisent, en ville comme à la campagne, pour assoir leur prise de possession des territoires et capter les profits de leur exploitation. L’état lorsqu’il prétend défendre l’intérêt commun, peut alors s’opposer à la privatisation du paysage et en préserver l’unité et la mémoire. L’état s’attache alors protéger les traditions qui ont rendu possible la lente émergence d’un terroir. Nous savons maintenant que le terroir est une rencontre entre des éléments naturels contingents et des éléments culturels collectifs et historiques. Le terroir est le substrat des paysages.

Pourtant le paysage avant d’être un objet d’études et de mesures conservatoires, est d’abord une expérience sensible du dévoilement de l’Etre. La question de la vérité des paysages, de leur authenticité, renvoie directement à la question de l’Etre.
Le paysage est une totalité englobante, perçue et éprouvée par une conscience et par une sensibilité, par un sujet. Le paysage ne se réduit pas pour autant à la perception que l’on a de lui. Il n’est pas relatif, c’est à dire une perception purement culturelle et artialisée de la nature. Le paysage n’appartient donc à personne, il n’est l’affaire d’aucun spécialiste, nul ne peut prétendre se l’approprier. Il échappe même à toutes tentatives d’appropriation. Le paysage est là, devant nous, ici et maintenant, intimement lié à nos perceptions et à nos représentations et pourtant, il nous renvoie aussi, à une expérience plus profonde, plus immédiate, celle du dévoilement de l’être.

Pour comprendre cela, il faut toutefois procéder à une mise au point du vocabulaire, et distinguer le paysage, du territoire et de la nature, sans toutefois les séparer.

La nature est le premier horizon de cette expérience sensible. C’est le niveau infra- humain du donné physique, de la contingence, du fait. La science explore ce niveau, le décrit, essaie d’en formuler les lois fondamentales. Mais cet horizon de la nature est aussi l’horizon de l’être en tant que « physis ». La « physis » c’est l’effort fourni par l’être pour se dévoiler tout en se maintenant dans l’être. Voilà pourquoi cet horizon concerne le scientifique, mais aussi le poète et le philosophe.

Le territoire, c’est la nature transformée par l’action de l’homme. « Être homme c’est être comme mortel sur terre c’est à dire habiter. Etre comme mortel sur terre, c’est transformer des espaces pour qu’ils deviennent des lieux « Martin Heidegger . Le territoire est ne l’oublions pas également l’horizon de la technique, de l’ingénieur. C’est l’horizon de l’aménagement et de l’exploitation de la nature.

Enfin, le paysage apparaît à l’homme, pour qui l’être se dévoile dans une expérience sensible et esthétique. Cet horizon est celui de la culture et de l’art, mais aussi celui de la réflexion et de la politique. Le paysage est l’affaire de l’homme, c’est ’affaire de tous. Sur le plan méthodologique, une étude complète d’un lieu, d’un espace habité, doit traiter distinctement ces trois horizons sans toutefois les séparer mais au contraire en établissant les relations.

  • Ainsi le projet d’aménagement paysager tient compte de ces trois horizons :
  • L’état des lieux rend compte de la nature des lieux.
  • Le programme précise les activités que l’homme entend déployer dans un milieu.
  • Le projet enfin, est l’expression harmonieuse des relations entre l’état des lieux, et le programme.
  • Le projet tient compte de la dimension culturelle de notre relation à la nature et au territoire.
  • Est paysagiste celui qui prend en compte ces trois horizons et qui permet ainsi à un lieu déterminé d’exprimer au mieux le terroir dont il provient.