Le paysagiste est le spécialiste du regard, le paysage est inventé par ceux qui le regardent et le décrivent. Selon Alain Roger le paysage est inventé par la peintre. Dans son Court traité du paysage, Alain Roger affirme que La Montagne Sainte Victoire est en quelque sorte inventée par Paul Cézanne.
Il faut faire attention à l’appropriation du territoire par une certaine élite qui diffuse ces propres valeurs et les impose au reste de la société, il faut aussi veiller au partage social des paysages et à leur mise en commun.
Cette première constatation place d’entrée la question du paysage dans l’enjeu du politique. Toutefois elle part sur un postulat de départ qui va être remis en question tout au long de mon exposé : le paysage est- il, avant tout une représentation, comme l' affirme le philosophe Alain Roger ?
Ma réflexion se nourrit de mes origines provençales, ce qui explique pourquoi je prends la Provence comme territoire de référence. Mais cette réflexion peut s'étendre à l'ensemble des territoires, français et européens. Les paysages Provençaux sont représentés par différents stéréotypes. Le stéréotype est une représentation figée et réductrice provenant de l’extérieur.
Le pays intime au contraire est vécu de l’intérieur, en effet le pays que l’on habite n’est pas le pays que l’on visite.
Ainsi se pose la question suivante : Où est la vérité de nos paysages ? Qui en détient la vérité ?
La question de la vérité des paysages, revoit à celle de leur identité.
Le paysage existe-t-il en dehors de ses représentations, y a-t-il une substance des paysages ?
Le paysage est d’abord vécu dans l’intimité de la perception sensible. Le paysage s’éprouve, il est donc au-delà des représentations. Il existe en effet en dehors de la perception culturelle, il se donne d’abord dans la perception brute de l'expérience sensible.
Le paysage n’est pas simplement ce qui se donne à voir. Le paysage est une totalité englobante qui se dévoile progressivement, par petits bouts, tout comme le concept métaphysique d’Être. J’en déduis, qu’il a une substance des paysages. Dès lors le paysage n’est plus l’affaire des seuls paysagistes, des spécialistes de la vue et des techniciens de l’aménagement du territoire. Il est bien l’affaire de tous. La destruction des paysages par notre société technique est aussi un signe du déclin de notre civilisation occidentale qui n’arrive plus à se poser la question de l’être.
La privatisation du paysage est en faite une privation. En effet dans le Lubéron, en Provence , le paysage se vend. Les nouveaux résidents du Lubéron produisent en partie le paysage qu’ils souhaitent consommer. Ils sont les vecteurs d’une nouvelle identité. Le marché de l’immobilier soustrait de plus en plus les espaces libres en les privatisant. Dans cette soustraction s’opère aussi une transformation des valeurs. Des symboles telles que les bories, les murets en pierres sèches, l’olivier permettent l’intégration d’éléments divers pour produire un paysage identitaire. Dans ces conditions : Être Sud devient Faire Sud. Mais ceux qui veulent faire Sud se moquent du symbolique et s’intéressent uniquement aux profits liés à leur appropriation du paysage et des ses valeurs.
Le paysage est bien un enjeu économique et politique. D’où l’importance de sa protection par des institutions telles que les parcs régionaux. Toutefois la protection des paysages sert aussi les intérêts de ceux qui résident à l’intérieur des parcs. En particulier les intérêts des propriétaires fonciers, qui grâce à la spéculation immobilière ainsi encouragée par le label « Parc « voient la valeur de leur patrimoine s’accroître considérablement grâce à cette labellisation. A la marque : Lubéron diffusé massivement par les revues telles que Côté Sud.
L’ancien est à la mode d’où l’intérêt pour le terroir. Les produits du terroir sont ceux qui portent l’imaginaire d’un lieu. Ce sont malgré tout des produits très ambigus. En effet le terroir est un label de qualité dont il est impossible de valider l’authenticité.
Le terroir fait vendre. Mais la marque terroir n’est qu’une image, un trompe l’œil destiné à cacher la véritable origine mondialisée de nos produits offert à la consommation, qu'il s'agissent de biens matériels ou de biens culturels. La mondialisation actuelle des échanges et de l’économie porte de nombreux dangers, en particulier le danger de l’uniformisation, de la standardisation.Cela est particulièrement vrai pour le vin comme le démontre brillamment le film Mondovino sortie en 2004. Mais bien sur cela est vrai également pour les paysages.
Le terroir n’est pas un concept sans véritable contenu et utile uniquement pour vendre.
Non, la question du terroir renvoie aussi à la question de l’être, c’est à dire de la substance. La sub- stance est ce qui se tient en dessous de. Les produits agricoles sont élaborés sur des territoires très marqués par des conditions de sols, de climats, qui en font la spécificité. Par ailleurs, ils sont conçus et réalisés à partir de savoir faire hérités de traditions parfois très anciennes.
Le terroir est le mariage de ces conditions naturelles et de ces traditions culturelles. Il est bien la substance de ces produits.
Le terroir n’est pas un concept vide, mais au contraire, il nous renvoie à une réalité concrète, palpable et identifiable. Il s’oppose au concept déterritorialisé de marque. La marque, est au contraire une invention purement commerciale qui recherche l’homogénéité et la constance des produits quelle diffuse. Le produit s’efface derrière la marque et la marque est indifférente à la notion de terroir c’est à dire de pro-venance.
Ainsi les huiles d’olive de la marque Puget sont des produits élaborés à partir de l’assemblage d’huiles provenant de plusieurs pays de la CEE dans le but d’obtenir tout au long de l’année un goût constant et apprécié par le consommateur. Les produits des marques sont le résultat d’un savoir faire purement technique. Ce savoir faire transposable partout permet d’obtenir une production standardisée et en grande quantité. La marque vise le marché mondial. Elle impose au marché son goût par les moyens publicitaires dont elle dispose. Elle diffuse des valeurs et identifie ensuite ses produits à ces valeurs.
En ce sens, les marques sont manipulatrices et mystificatrices.
A suivre : Le paysage est un produit du terroir 2/3